L'alcool peut-il remplacer l'essence ?
- L'alcool peut remplacer l'essence.
- Les valeurs comparées de l'essence, du benzol et de l'alcool
- Quelles quantités de différents produits consommera voire moteur.
- Avantages et désavantages de l'emploi de l'alcool.
- Le mélange de l'alcool et de l'essence.
Le prix élevé et la pénurie probable de l'essence ont attiré l'attention du grand public, et accessoirement de nos parlementaires sur l'alimentation des moteurs à explosions à combustible liquide. On s'est demandé si les moteurs à essence ne pourraient pas consommer autre chose que de l'essence, et en particulier, si l'alcool ne constituerait pas le carburant de l'avenir.
Remarquons d'abord que la question est loin d'être nouvelle puisque, en 1901 et 1902, le Congrès de l'alcool a examiné très à fond cette question, et qu'une épreuve de vitesse sur route s'est courue en 1902, sous le nom de Circuit de l'alcool, épreuve où les voitures devaient s'alimenter uniquement avec de l'alcool éthylique. Techniquement donc, la question est résolue par l'affirmative : les moteurs actuels de nos voitures peuvent fonctionner au moyen de l'alcool. Mais il nous a paru intéressant d'examiner dans quelles conditions le moteur à essence fonctionnerait avec un autre carburant, alcool ou benzol, quelles modifications résulteraient du changement de combustible au point de vue puissance et consommation.
La Puissance et le Combustible.
Dans un moteur à explosions, le travail moteur est fourni à chaque cycle par l'explosion de la masse gazeuse absorbée dans les cylindres au temps de l'aspiration ; cette masse se compose d'air atmosphérique mélangé en proportions convenables d'un combustible liquide plus ou moins gazéifié.
Le travail fourni par une masse déterminée de mélange explosif est évidemment proportionnel à l'énergie chimique contenue dans cette masse.
Considérons 1 kilogramme d'essence que nous faisons brûler dans l'air atmosphérique. Utilisons toute la chaleur produite par la combustion de l'essence pour chauffer de l'eau. Nous constatons ainsi que la combustion de 1 kilogramme d'essence peut porter de 0 à 100° une quantité d'eau égale à 110 litres ; c'est ce qu'on exprime en langage plus scientifique en disant qu'un kilogramme d'essence dégage par sa combustion 11.000 calories.
Ces 11.000 calories représentent donc l'énergie chimique contenue dans un kilogramme d'essence.
Si nous répétons l'expérience avec un kilogramme d'alcool à 95°, nous constatons que nous obtenons par la combustion de ce kilogramme d'alcool seulement la moitié de la chaleur obtenue avec l'essence, soit environ 5500 calories ; avec le benzol, nous obtiendrons un chiffre intermédiaire entre l'alcool et l'essence, soit 9500 calories.
Ceci posé, cherchons à évaluer l'énergie contenue sous forme calorifique dans une certaine masse de gaz explosif aspirée par un moteur, par exemple dans une masse occupant à 0° et sous la pression atmosphérique, un volume d'un litre. C'est cette masse que, pour plus de simplicité, nous appellerons un litre de gaz explosif.
En fabriquant le gaz explosif dans le carburateur, nous devons nous arranger pour que la combustion du carburant soit aussi complète que possible. Il s'en suivra donc que pour chaque nature de carburant il y aura une proportion bien définie entre le volume de l'air qui sert de comburant et le poids du combustible.
L'expérience prouve que, pour brûler un kilogramme d'essence, il faudra environ 15 mètres cubes d'air ; pour brûler un kilogramme d'alcool, il faudra 7,5 mètres cubes d'air, et, pour brûler un kilogramme de benzol, 13 mètres cubes d'air. Bien entendu, nous avons arrondi les chiffres, et ne cherchons pas une exactitude rigoureuse dans les calculs tout à fait élémentaires auxquels nous avons recours ici.
Consommation d'un moteur déterminé. Alimenté successivement avec l'essence, benzol, et l'alcool.
Avec l'essence donc, un litre d'air devra contenir 1/15.000 de kilogramme d'essence ; le nombre de calories que peut produire 1/15.000 de kilogramme d'essence sera donc de 11.000/15.000 = 0,73 calories. Telle sera l'énergie que développera dans un moteur à explosions un litre d'air carburé à l'essence.
Bien entendu, toute cette énergie ne sera pas utilisable sur le volant du moteur : une partie en sera dissipée dans l'eau de refroidissement, une autre s'en ira avec les gaz chauds de l'échappement, et enfin, une certaine portion sera employée à vaincre les résistances passives du mécanisme du moteur.
Mais des expériences assez nombreuses ont permis de constater que la proportion d'énergie ainsi dilapidée par ces différentes sources était sensiblement la même pour un moteur déterminé, quel que soit le combustible employé (encore une fois, il s'agit là de données approximatives, et non pas de données rigoureusement exactes : nous insistons sur ce point pour qu'on ne nous chicane pas sur une décimale).
Admettons, si vous voulez, que le quart de l'énergie développée par le mélange combustible soit utilisé réellement sur l'arbre du moteur. Nous aurons donc 0,18 calories transformées en travail ; or, comme nous l'enseigne une loi élémentaire de thermodynamique, l'équivalent mécanique de la chaleur étant d'environ 425 kilogrammètres, c'est-à-dire qu'une calorie intégralement transformée en travail pourrait produire 425 kilogrammètres, nous en conclurons que la combustion d'un litre d'air carburé à l'essence produira sur l'arbre de notre moteur un travail de
425 X 0,18 = 77 kilogrammètres.
Si ce travail s'accomplit en une seconde, la puissance de notre moteur sera d'environ un cheval.
Substituons maintenant l'alcool à l'essence.
L'alcool, avons-nous dit, exige pour sa combustion d'être mélangé à environ 7 m3, 5 d'air ; un litre d'air carburé à l'alcool contiendra donc 5500/7500 = 0,73 calories: c'est exactement le même chiffre que nous avons trouvé pour l'essence.
Donc, si notre moteur brûle un litre de mélange par seconde, il aura encore avec l'alcool une puissance de un cheval.
Si nous refaisons le calcul pour le benzol, nous arrivons à un résultat à peu près identique : le travail produit par un litre d'air carburé au benzol sera encore sensiblement de 75 kilogrammètres.
La conclusion que nous pouvons en tirer est donc la suivante : quel que soit celui des trois combustibles liquides que l'on emploie dans un moteur déterminé, essence, alcool ou benzol, la puissance de ce moteur restera sensiblement la même. Bien entendu, cette conclusion n'est vraie que si pour chacun des combustibles nous avons effectué un réglage convenable du carburateur.
Donc, la puissance est pratiquement indépendante du combustible employé.
Voyons maintenant comment va varier la consommation.
La Consommation des différents Carburants.
D'après ce que nous venons de dire, il est facile de conclure que pour produire un certain travail sur l'arbre d'un moteur déterminé, il faut consommer dans ce moteur une quantité de combustible susceptible de dégager dans sa combustion un nombre déterminé de calories.
Plus, donc, un combustible dégagera de calories dans sa combustion, moins il sera nécessaire d'employer de ce combustible pour produire une puissance donnée.
Considérons un moteur qui dépense par exemple un kilogramme d'essence pour produire un certain travail pendant une heure. Sa puissance sera, si vous voulez, de 4 HP ; nous aurons donc comme consommation 1.000 grammes pour 4 HP pendant une heure, soit 250 grammes d'essence par cheval-heure.
Ces 1.000 grammes d'essence développent, nous l'avons dit, 11.000 calories. Quelle est la quantité d'alcool que nous devrons brûler pour produire la même puissance pendant le même temps ? Evidemment, la quantité capable de dégager par sa combustion le même nombre de calories que un kilogramme d'essence, soit 2 kilogrammes d'alcool, puisque le pouvoir calorifique de celui-ci est à peu près la moitié de celui de l'essence. On trouverait de même qu'il faut consommer environ 1.150 grammes de benzol pour alimenter le même moteur.
Par conséquent, si la puissance du moteur reste la même, quel que soit le combustible qui sert pour l'alimenter, il n'en est pas de même de.sa consommation qui varie du simple au double quand on passe de l'essence à l'alcool.
La consommation que nous avons notée ici a été exprimée en kilogrammes — ou en grammes — de combustible. Mais dans la pratique, quand nous garnissons le réservoir de notre voiture, nous ne payons pas au marchand tant le kilogramme d'essence ou d'alcool, mais tant le litre.
Il faut donc comparer la quantité de combustible employé non pas en le mesurant en poids, mais en le mesurant en volume.
Les poids spécifiques des trois combustibles dont nous nous occupons sont à peu près les suivants : essence, 0 kg. 720 ; alcool, 0 kg. 840 ; benzol, 0 kg. 885. Cela veut dire qu'un litre d'essence pèse 720 grammes, un litre d'alcool 840 grammes et un litre de benzol 885 grammes.
Par conséquent, si nous cherchons la quantité de combustible qu'il faudra substituer à un litre d'essence pour produire dans un moteur un travail déterminé, nous trouvons qu'il faut environ 1 l. 700 d'alcool, et 0 1. 95 de benzol.
A prix égal au litre, le combustible le plus économique serait donc le benzol, puis viendrait l'essence et enfin l'alcool.
Mais les prix de ces combustibles ne sont pas les mêmes. Cherchons donc l'équivalent en francs des trois combustibles : essence, alcool, benzol.
Partons de l'essence à deux francs le litre, ce qui est actuellement le prix de ce carburant (1). Pour que l'alcool ou le benzol puissent être substitués à l'essence pour une même dépense, il faudrait que 1 l. 700 d'alcool coûtât seulement deux francs, et que 0 l. 95 de benzol coûtât également deux francs, ce qui nous amène pour l'alcool au prix de 1 fr. 20 le litre, et, pour le benzol, au prix de 2 fr. 10.
Le benzol ne coûte pas ce prix-là ou plutôt ne coûtait pas ce prix, quand on pouvait encore trouver du benzol : actuellement, ce combustible a à peu près disparu du marché.
Quant à l'alcool, son prix actuel est encore beaucoup plus élevé que celui de l'essence, puisqu'il faudrait qu'il descendît à 1 fr. 20 pour ne pas être plus coûteux.
(1) Depuis les quelques jours que cet article a été écrit, le prix de l'essence a subi une nouvelle hausse.
Quel est le Combustible le plus avantageux ?
Tout ce qui précède s'applique à un moteur déterminé : c'est-à-dire que nous avons pris un moteur, et que, sans rien modifier à ce moteur en dehors de son carburateur, nous l'avons fait marcher successivement avec de l'essence, de l'alcool et du benzol ; nous sommes arrivés aux conclusions que l'on a vues. Ces conclusions ne seraient d'ailleurs pas les mêmes si l'on posait le problème autrement.
Supposons que l'on construise spécialement trois moteurs dont l'un doive utiliser de l'essence, l'autre de l'alcool et le troisième du benzol. Pour établir ces trois moteurs, le constructeur se sera donc basé sur les propriétés du combustible particulier qui doit alimenter chacun d'eux et les aura dessinés en conséquence.
Ces trois moteurs différeront très sensiblement les uns des autres. Sans entrer dans les détails, parlons seulement de la question compression.
Le rendement d'un moteur, qui est, comme nous l'avons dit, le rapport entre les calories réellement utilisées et les calories dépensées, dépend principalement du rapport qui existe entre le volume total du cylindre et le volume de la chambre de compression. C'est ce rapport qu'on désigne quelquefois sous le nom impropre de compression froide. Le rendement est d'autant plus élevé que le rapport de compression est lui-même plus grand.
Pour un moteur théorique, c'est-à-dire qui fonctionnerait avec de l'air pur comme corps décrivant le cycle et sans pertes par les parois, le rendement dépend même uniquement du rapport de compression. Il semble donc que l'on doive donner à ce rapport la valeur la plus élevée possible.
Or, on est précisément limité pour le rapport de compression par la nature du combustible à employer. Avec l'essence, il est difficile d'obtenir un moteur fonctionnant régulièrement avec un rapport de compression supérieur à 5 ; avec le benzol, on peut arriver à 7, et avec l'alcool à 10 (là encore, nous nous contenterons de chiffres approximatifs).
La thermo-dynamique nous enseigne que le rendement théorique de ces moteurs sera respectivement de 0,38 pour le moteur à essence, 0,44 pour le moteur à benzol et 0,50 pour le moteur à alcool.
Si nous supposons que les trois moteurs travaillent dans les mêmes conditions, et que le premier consomme, pour produire un travail déterminé, un litre d'essence, le second consommera seulement o 1. 8 de benzol et le troisième t 1. 3 d'alcool. Dans ces conditions, les prix équivalents de ces trois carburants seraient sur une base de 2 francs pour l'essence, de 2 fr. 50 pour le benzol et de 1 fr. 55 pour le litre d'alcool.
Comme on le voit, les conclusions de notre précédent paragraphe sont sensiblement modifiées quand on prend des moteurs construits spécialement pour fonctionner dans les meilleures conditions possibles avec chacun des combustibles envisagés.
Dans ces moteurs théoriques d'ailleurs, on ne pourrait pas employer indifféremment n'importe quel combustible. Le moteur à essence pourrait, à la vérité, fonctionner soit à l'essence, soit au benzol, soit à l'alcool, mais le moteur au benzol ne pourrait pas fonctionner à l'essence, et quant au moteur à alcool, c'est ce seul liquide dont il tolérerait l'usage.
Objections contre l'emploi de l'Alcool.
On a fait de nombreuses objections contre l'emploi de l'alcool pour l'alimentation des moteurs à explosions. Ces objections se résument à trois principales : consommation exagérée d'alcool, impossibilité de démarrer à froid avec l'alcool ; l'alcool attaquerait la matière des moteurs.
Nous avons vu ce qu'il fallait penser de la première de ces objections : quoiqu'il arrive, et même avec des moteurs construits spécialement, la consommation d'alcool sera toujours plus élevée que la consommation d'essence ; l'alcool ne sera donc avantageux que si son prix est nettement moindre que celui de l'essence.
Quant au démarrage à froid, c'est un fait contre lequel on ne peut rien : un moteur ordinaire ne démarre pas à froid à l'alcool. Pour démarrer, il faut de toute nécessité soit employer l'essence ou le benzol pendant quelques instants, soit réchauffer au préalable assez énergiquement le carburateur. En marche normale, du reste, il y aura lieu de réchauffer plus énergiquement un carburateur à alcool qu'un carburateur à essence, en raison de la volatilité moindre de l'alcool et de sa chaleur spécifique plus élevée.
Quoi penser enfin de la dernière objection ?
Des expériences assez longues, entreprises en particulier par M. Sorel, ont montré que dans la combustion incomplète de l'alcool il pouvait se former des produits (acide acétique ou oxalique) susceptibles d'attaquer les parois du cylindre et les soupapes ; mais, si l'on emploie de l'alcool pur et si la carburation est convenable, aucun produit nocif ne se forme au cours de la combustion.
Certains produits que la Régie mélange à l'alcool pour le dénaturer donnent naissance, eux aussi, à des produits corrosifs : si l'on se décide enfin à favoriser l'emploi de l'alcool pour l'alimentation des moteurs, il faudra que notre Administration des Finances abandonne ses vieilles méthodes de dénaturation.
L'Alcool carburé avec de l'essence.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que de l'alimentation des moteurs par l'alcool pur. Les inconvénients de l'alcool disparaissent à peu près complètement si, au lieu de l'employer seul, on le mélange à un carburant plus riche, en particulier le benzol, avant de l'admettre dans le carburateur.
L'alcool carburé à 50 % de benzol a fait ses preuves depuis bien longtemps dans les concours militaires de camions automobiles d'abord, et ensuite sur les omnibus de la C. G. O. qui n'ont pas brûlé autre chose de 1910 à 1912. Si la Compagnie des Omnibus a abandonné l'alcool carburé, ce n'est pas pour des raisons d'ordre technique, mais uniquement parce que le cours de l'alcool variait avec des sautes si brusques qu'il était impossible d'établir d'avance un budget de dépenses.
On a proposé également de carburer l'alcool avec de l'essence. Malheureusement, si l'alcool se mélange en toutes proportions avec le benzol, il ne se mélange pas avec l'essence, tout au moins quand il s'agit d'alcool industriel (90-95°). et d'essence ordinaire de densité comprise entre 720 et 740. Pour que le mélange ait lieu, il faut interposer un troisième corps, éther ou benzol, qui permet un mélange convenable.
Des essais ont été entrepris depuis pas mal de temps déjà sur ces mélanges ternaires et ont donné des résultats encourageants, en particulier quand on employait le benzol comme solvant. Malheureusement, la rareté actuelle du benzol et le prix prohibitif de l'alcool empêchent l'usage pratique de ce carburant, qu'on avait dénommé carburant national, de se répandre.
Il faudra bien cependant trouver quelque chose pour remplacer l'essence, car sans être pessimiste, on doit envisager le moment relativement prochain où toute l'essence extraite des pétroles américains suffira à peine à la consommation des Etats-Unis, où, par conséquent, les voitures européennes devront consommer de l'alcool ou rester au garage.
H. PETIT.
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