L'EMPLOI DE L'ALCOOL COMME CARBURANT POUR LES AUTOMOBILES
Histoire de l'E85 / Superéthanol du XIXe siècle à nos jours
L'alcool éthylique constitue le carburant de remplacement le plus facile à employer actuellement. Les stocks existants en 1940 ont été réservés à des services publics, et le nombre des voitures autorisées à fonctionner à l'alcool est assez restreint.
Toutefois, on fonde de grands espoirs sur l'emploi de ce carburant que l'on pourrait produire en France en grandes quantités, soit par hydrolyse du bois, soit par distillation de produits agricoles divers, faciles à produire en grandes quantités : pommes de terre, topinambours, betteraves, céréales, etc.
L'emploi de l'alcool dans les moteurs conçus pour la marche à l'essence, comme ceux des automobiles ordinaires, présente toutefois certaines difficultés. A rendement égal, la consommation d'alcool devrait être, par rapport à celle d'essence, dans le rapport inverse des pouvoirs calorifiques, 5300 cal pour l'alcool à 95° et 7600 cal pour l'essence, soit 1,4, ou 14 litres d'alcool pour 10 litres d'essence.
Des essais récents ont montré que, pratiquement, le rapport des consommations variait, pour un certain nombre de voitures, entre 1,6 et 2,5; cette mauvaise utilisation provient de ce que les moteurs essayés n'avaient pas reçu les transformations nécessaires pour la marche à l'alcool. Nous allons indiquer ces transformations et quelques-uns des dispositifs à adopter à cet effet; nous décrirons ensuite un système particulier d'utilisation de l'alcool dans les moteurs d'automobiles : le dispositif Retel, qui présente des avantages importants.
Transformations nécessaires
Le fonctionnement à l'alcool est caractérisé essentiellement par sa faible volatilité et par sa chaleur de vaporisation élevée. L'alcool à 95° a une chaleur de vaporisation de 309 cal/kg et l'essence de 80 cal/kg seulement.
Pour employer correctement l'alcool dans un moteur conçu pour l'essence, il faut donc :
- Prévoir un réchauffage initial pour la mise en route par temps froid, ou bien démarrer avec un liquide plus volatil que l'alcool ;
- Pendant la marche, fournir au système de carburation, c'est-à-dire à l'ensemble de la tuyauterie et du carburateur un apport de chaleur six fois plus grand que celui qui est nécessaire pour le fonctionnement à l'essence.
Les principales transformations à effectuer sont donc les suivantes :
- installer un dispositif de mise en route à froid :
- établir une tuyauterie d'aspiration autour de laquelle circule la majeure partie des gaz d'échappement, en la réchauffant, et prévoir une prise d'air chaud sur le carburateur.
Carburateurs et dispositifs spéciaux.
Quand le moteur au repos est à une température inférieure à 25°, la mise en route ne peut se faire sur l'alcool sans un artifice, lequel consiste à emprunter de l'énergie à la batterie d'accumulateurs. Il suffit, pour un moteur de 2 litres de cylindrée, de la quantité d'énergie fournie par 120 W pendant 2 minutes, soit 4 Wh.
Fig. 1. — Installation pour le fonctionnement à l'alcool d'un moteur d'automobile avec carburateur Zénith. |
A, ampèremètre; — B, batterie d'accumulateurs, C, bride réchauffée par les gaz d'échappement; — D, tirette du starter; — E, réservoir de départ: — F, Iloite de réchauffage; — G, bride intermédiaire; — H, arrivée d'alcool; — M, masse.
Dans le dispositif Zénith, qui comporte un starter de mise en marche muni d'une cuve à niveau constant (fig. 1), une tuyauterie de 8 mm de diamètre conduit l'émulsion dans une fausse bride interposée entre le carburateur et la tuyauterie; cette bride à double paroi est réchauffée par une dérivation de l'échappement. Le chauffage électrique, pour le démarrage, est réalisé par une résistance roulée en hélice et placée dans la tubulure même d'amenée du mélange d'air et d'alcool.
Dès que le moteur a démarré, on peut supprimer le chauffage électrique. Le moteur continue alors de fonctionner sans réchauffage, bien que la quantité de chaleur apportée à la bride chauffante par le courant soit tout à fait insuffisante pour assurer la vaporisation jusqu'à ce que les gaz d'échappement aient chauffé la bride à double paroi. En réalité, la chaleur nécessaire pour produire la vaporisation de l'alcool provient alors de la compression du mélange gazeux dans le cylindre; cette chaleur suffit pour permettre le fonctionnement du moteur pendant la période critique des premiers tours, jusqu'à ce que les gaz d'échappement aient réchauffé suffisamment la bride.
Fig. 2. — Coupe d'un carburateur Solex pour le fonctionnement à l'alcool. |
a, pipe de raccord d'arrivée d'essence: — b, gicleur à starter: — c, boisseau; — d, orifice d'entrée d'air; — e, pointeau: — f, orifice de glace du starter; — g, papillon des gaz: — h, gicleur d'air du starter; — i, gicleur principal ; — j, pointeau appauvrisseur ; — k, manette du pointeau.
Une autre solution consiste à utiliser un liquide plus volatil : essence, mélange d'alcool et d'acétone, etc. Le carburateur Solex (fig. 2), permet le démarrage à l'essence et la marche normale à l'alcool; il comporte un gicleur supérieur à essence et un gicleur inférieur au gaz. En marche normale, l'insuffisance du réchauffage a de graves inconvénients, notamment une consommation excessive d'alcool, car ce carburant arrivant alors à l'état liquide dans les cylindres y brûle incomplètement. De plus, il y a une usure très rapide des cylindres et des segments qui provient, d'une part, d'un défaut de graissage, l'huile étant lavée par l'alcool liquide, et, d'autre part, de la corrosion provenant des produits de combustion incomplète de l'alcool, tels que l'acide acétique.
Il faut donc graisser les hauts de cylindres par un dispositif de superhuilage convenable.
Comparaison du fonctionnement à l'essence et à l'alcool.
Un moteur étant bien adapté à l'alimentation à l'alcool, la consommation mesurée en calories au cheval-heure, ou aux 100 km, est sensiblement la même, que l'on emploie l'alcool ou l'essence ; cette consommation peut même être légèrement inférieure dans le cas de l'alcool, grâce à son pouvoir indétonant.
La Technique automobile d'août a donné les résultats d'essais effectués sur un moteur Peugeot type 402 B, transformé pour la marche à l'alcool; les dispositions suivantes y ont été introduites :
- dispositif de mise en route à froid ;
- réchauffage de la tuyauterie d'aspiration ;
- prise d'air chaud sur l'échappement ;
- remplacement de la culasse de série à compression 7, par une culasse spéciale, à rapport volumétrique égal à 9.
Fig. 3. — Consommations d'alcool et d'essence dans le moteur d'une même voiture.
La figure 3 montre les courbes de consommation obtenues avec de l'alcool à 96° et à 99° 6 et, à titre de comparaison, une courbe obtenue sur une autre voiture avec de l'essence.
Avec de l'alcool à 96° la consommation à 90 km/h est de 14l 20 aux 100 km, contre 121 10 pour l'essence, et avec de l'alcool à 99° 6, de 131 30. En outre, la consommation, évaluée en calories a été très avantageuse dans le cas de l'alcool.
Entre 30 et 110 km/h, la voiture à essence consomme de 72000 à 120000 cal aux 100 km, tandis que la voiture à alcool (à 96°) consomme de 52000 à 96500 cal seulement. Avec de l'alcool absolu, la consommation en calories est encore plus réduite.
L'alcool éthylique peut donc devenir un excellent carburant, à condition que des dispositions, relativement simples d'ailleurs, soient adoptées pour obtenir sa combustion complète.
Le dispositif Retel
Le dispositif Retel, décrit par M. Charles Faroux dans la Vie automobile du 25 juillet, a été l'objet d'une communication de l'inventeur à l'Académie des Sciences, reproduite p. 15 du présent numéro; il comporte l'injection directe du combustible dans le cylindre en fin de compression, avec allumage commandé; une autre communication plus détaillée sur ce dispositif a été présentée à la séance du 26 novembre de l'Académie d'Agriculture, par M. Javillier, qui a exposé les avantages du système, et indiqué que l'alcool doit devenir le carburant agricole par excellence et fournir aux exploitations rurales l'énergie nécessaire. A la suite de cette communication, Mr. Coupan a rappelé que l'emploi de l'alcool dans les moteurs avait déjà été mis à l'étude par le Ministère de l'Agriculture dès 1901. A cette époque déjà les meilleurs résultats avaient été obtenus avec des dispositifs d'injection mécanique, comportant les réglages voulus concernant le point d'injection, le dosage du combustible, etc. Ces systèmes ont cependant disparu devant les carburateurs, parce que l'alcool et l'essence ne lubrifient pas les organes des pompes d'injection et même les dégraissent, provoquant ainsi leur usure rapide.
Le système Retel a été conçu pour donner au moteur d'automobile les avantages que confère déjà l'injection au moteur d'aviation. On sait en effet que, dans un moteur à plusieurs cylindres, la richesse du mélange d'air et de combustible formé par le carburateur varie dans d'assez fortes proportions, non seulement d'un cylindre à un cylindre voisin, mais aussi pour le même cylindre, d'une cylindrée à la suivante; d'où la nécessité, si l'on ne veut pas courir le risque d'avoir des cylindres alimentés systématiquement de mélanges pauvres brûlant mal, de maintenir le mélange carburé à un taux de richesse trop élevé, entraînant une consommation de combustible exagérée.
Le dispositif Retel, en permettant l'injection directe dans chaque cylindre de quantités égales de combustible, assure donc aux différents cylindres une alimentation identique. Il donne
ainsi la possibilité de réduire la richesse moyenne des mélanges utilisés et permet, par suite, de diminuer notablement la consommation de carburant. Cet avantage important vaut quel que soit le combustible utilisé : essence, cétones, alcools, etc.
Dans le cas de l'alcool, l'emploi de l'injection supprime la nécessité du réchauffage préalable pendant la marche. Il élimine aussi l'obligation du réchauffage initial lors du démarrage à froid, car le combustible étant finement pulvérisé dans la chambre de combustion, se vaporise et s'enflamme dès les premières compressions.
Fig. 4 et 5. — Alimentation d'un moteur par l'alcool, suivant le dispositif Retel, par injection directe du carburant et allumage commandé.
Le dispositif Retel (fig. 4 et 5) comporte un distributeur A placé sur la culasse et entraîné à demi-vitesse du moteur par la transmission commandant le Delco ou une transmission analogue. Ce distributeur envoie à chacun des injecteurs B une quantité exactement dosée de carburant. Un levier C, relié par la tringlerie D à la pédale d'accélérateur E, permet de faire varier la quantité de combustible injectée. La tringlerie D actionne en même temps le volet d'admission d'air F, qui peut être simplement le papillon du carburateur si la voiture en comporte.
Le combustible, en l'espèce l'alcool, est envoyé au distributeur A par une pompe G, entraînée par le moteur, à une pression qui dépend de sa vitesse. L'ensemble est établi de façon que la quantité de combustible injectée reste exactement proportionnelle au poids d'air admis, quelles que soient la vitesse et la charge du moteur. Pour passer d'un combustible à l'autre, il suffit de modifier la position de la rotule de commande du levier C sur le curseur gradué porté par ce levier.
La transformation d'une voiture pour utiliser ce système est facile ; le montage du dispositif peut être fait de la même façon que celui de l'appareil d'allumage Delco, symétriquement par rapport à cet appareil.
La pompe d'injection peut être fixée sur la dynamo et entraînée par courroie.
La culasse du moteur doit comporter les bossages nécessaires au passage des injecteurs, ce qui nécessite, pour certains moteurs, le remplacement de la culasse, tandis que sur d'autres moteurs les injecteurs peuvent être placés directement.
Des essais prolongés ont montré que l'injection directe à allumage commandé permet d'obtenir des résultats remarquables : la marche est régulière, le moteur ne fatigue pas et le départ à froid est instantané.
Le dispositif utilisé avec l'essence a produit une augmentation de puissance de 10 et une économie d'énergie calorifique de 12 Avec de l'alcool à brûler à 90°, l'augmentation de puissance a été de 6 Avec de l'alcool éthylique à 95°, d'un pouvoir calorifique de 6 600 cal/kg, l'augmentation de puissance a été de 24 %, la diminution d'énergie calorifique de 13,8
En utilisation sur une voiture, le dosage exact du carburant et de l'air à tous les régimes se traduit, outre une économie très importante de combustible, par une qualité des reprises et une souplesse de marche remarquables.
J. L.
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