dimanche 12 novembre 2017

1947 : Utilisation de l'alcool comme carburant aviation

Titre : L'Air : revue mensuelle : organe de la Ligue nationale populaire de l'aviation

Auteur : Ligue nationale populaire de l'aviation (France). Auteur du texte

Éditeur : [s.n.] (Paris)

L'ALCOOL "Carburant Aviation"


Dans un précédent a Propos en l'air * (L'Air du 20 décembre 1946), il était fait état de la demande d'un lecteur s'étonnant qu'on n'ait pas encore, dans l'aviation, cherché à remplacer le carburant essence par le carburant alcool qui semblerait devoir donner, avec les injecteurs dont sont munis la plupart des moteurs actuels d'avion, des résultats supérieurs à ceux de l'essence avec des risques d'incendie infiniment moindres et des risques d'explosion inexistants.

Ce lecteur, est sans doute influencé, à juste titre, par les expériences entreprises sur les moteurs d'automobiles et les résultats annoncés avec les dispositifs Brandt, Jalbert, Relel, etc..., et vraisemblablement aussi par les conclusions du "Cycle de l'Alcool-Carburant" a organisé il y a trois ans par la Société des Ingénieurs de l'Automobile. Jugeant toutefois que la difficulté n'est pas mince de remplacer un carburant universellement connu et apprécié comme l'essence, par un autre carburant moins généralisé, il lui semblait aussi que pour un pays démuni de devises, il y aurait intérêt à ce que la question puisse faire l'objet d'une élude approfondie.

Le problème est ainsi nettement posé.

Pour ma part, je n'ai certes pas la prétention de livrer l'étude réclamée, encore bien moins de poser "au technicien de carburants" capable d'apporter la solution définitive. Tout au plus me permettrai-je d'éclairer le débat par l'exposé plus détaillé des données du problème et de relater quelques-uns des résultats acquis, car l'alcool, pour des circonstances particulières, est déjà entré dans le domaine des applications pratiques généralisées. Pour le reste, comme nous le verrons par la suite, la parole est aux thermodynamiciens... et aux Pouvoirs publics, à qui il appartient de prendre des décisions.

Il est exact que l'utilisation de l'alcool pur en remplacement de l'essence dans les moteurs d'avion n'a donné lieu qu'à des recherches et essais sporadiques. Les raisons sont multiples. L'une des principales est sans conteste la routine. Depuis de longues années la construction des moteurs était engagée avec l'essence et suivant des dispositifs très classiques. Ce n'est que ces toutes dernières années qu'on a appliqué l'alimentation par injection, beaucoup par esprit d'imitation, après que l'aviation allemande eut démarré dans cette voie.

Les constructeurs français — très rares — les américains et les anglais — plus nombreux — ont cru, à l'origine, que l'adoption de i'injection par les ingénieurs allemands tenait à des considérations d'ordre thermodynamique, à une amélioration notable du rendement. En réalité, cette concession, très onéreuse, répondait à des impératifs d'ordre tactique. En effet, la consommation spécifique des moteurs allemands à injection n'a pas marqué de progrès sensibles sur celle des bons moteurs anglais, américains, et même français. appliquant au mieux la "carburation externe".

Aujourd'hui encore, dans l'état actuel de la technique des moteurs à essence, l'injection directe, aussi bien que l'emploi de carburateurs à injection (introduction sous pression du carburant dans la tubulure d'admission après les papillons d'air et avant le compresseur) ne se distingue pas, pratiquement par une réduction sensible de la consommation spécifique, signe d'un meilleur rendement. Ce qu'on observe, par contre, c'est l'annulation presque totale des effets malencontreux d'inertie et de gravité qui sont le lot des systèmes comportant pointeaux et flotteurs. L'alimentation est plus régulière, pour tous les régimes et surtout pour toutes les positions de l'aéronef. Les risques de givrage et de "vapor lock" sont également éliminés. Ce sont là des avantages non négligeables, dont les Allemands surent profiter, d'autant qu'ils disposaient d'un constructeur de pompes et d injecteurs alliant à une technique éprouvée des appuis politiques.



Schéma du carburateur à infection Hobson comportant un dispositif d'injection de mélange méthanol-eau et adopté par presque tous les constructeurs anglais 'de moteurs d'avions.


En ce qui concerne encore l'aviation allemande, il est certes assez surprenant — et de cela nous devons nous en féliciter — qu'elle n'ait pas songé à utiliser l'alcool, et plus spécialement le méthanol. En effet, obligés de recourir à l'essence de synthèse, de qualité médiocre, les Allemands auraient pu tirer un meilleur emploi de leur charbon en s'orientant sur le méthanol de synthèse, puisque les premières phases du procédé Fisher sont identiques. En ne poussant pas l'opération jusqu'à l'essence, on économise environ 30% de la matière première (charbon ou lignite) et l'on obtient un carburant doté d'un indice d'octane élevé, alors que l'essence de synthèse, très détonante, exige des traitements ultérieurs et l'emploi de dopes antidétonants. Ce n'est que sur le tard, avec les V 1 et les V 2 que les Allemands, non sans dommage pour nous, ont utilisé le carburant alcool.

Quant aux aviations, anglaise et surtout américaine, il n'a pu être question de substituer l'alcool à l'essence, pour l'excellente raison a priori qu'elles disposaient, immédiatement, de quantités déjà relativement considérables de pétrole, donc d'essence, et à un prix inférieur à celui d'un alcool agricole ou de synthèse, même produit dans les meilleures conditions techniques. Cette raison dominera encore le fond du problème tant que des signes certains d'épuisement des gisements pétrolifères ne seront pas apparus, et pour tous les pays ou tout ce qui est carburant n'est pas prétexte à une fiscalité outrageusement démesurée. (Ne perdons pas de vue qu'en France ce qui revient à 2 fr. 75 le litre CIF est vendu près de 20 fr. par le jeu des taxes et droits divers, et bientôt même 49 fr. pour le carburant auto).




Courbes des puissances et de consommation du moteur Pratt et Whitneg « Double Wasp » (version commerciale). On remarque qu'avec l'infection d'eau-méthanol la puissance possédé 2.100 à 2.450 CV cependant que la consommation de carburant tombe de 370 g. (sans injection) à 275 g. par cheval.h. Les chevaux supplémentaires sont donc obtenus très avantageusement moyennant une dépense, par cheval.h., de 40 g. de méthanol compense par une économie de 95 g. de carburant à plus de 100 d'octane.


Ajoutons, enfin, que l'essence est, en raison du développement considérable de l'activité des sociétés pétrolières, un carburant véritablement international. Pratiquement, en période normale, l'approvisionnement est assuré dans toutes les régions même peu civilisées. On ne saurait en dire autant de l'alcool. Sa production est loin d'atteindre le niveau de l'extraction du pétrole, et le prix de revient est, dans l'ensemble, plus élevé. Ces inconvénients, que l'on peut qualifier de majeurs, ne peuvent se compenser, et dans la limite des possibilités de production, que par des avantages techniques indiscutables, ou, à défaut, par des motifs d'ordre particuliers, économiques ou militaires.

Aussi bien, ne perdons pas de vue que les avantages techniques de l'alcool, avec les possibilités d'utilisation — à l'état pur — n'ont été mis en évidence, et pour des raisons diverses, que tout récemment. On peut, toutefois se montrer surpris que les spécialistes du moteur d'avion, pour lequel le prix de revient n'est pas la préoccupation dominante, n'aient pas songé à tirer des enseignements convenables auprès des constructeurs de moteurs de voilures de course. Pour celles-ci, en effet, l'alcool est depuis longtemps le carburant de choix, et pour des engins dont on exige, à l'image des moteurs d'avion, des puissances massiques élevées. Signalons, en passant, que lors du dernier Grand Prix d'Indianapolis, une forte majorité des concurrents, dont le vainqueur, employait l'alcool pur, ou des mélanges fortement alcoolisés. Et cela dans le pays où l'on trouve facilement du 100 d'octane et plus. (La capacité de production étant de 36 milliards de litres/an.)

Sur le plan des impératifs d'ordre économique ou militaire pouvant conduire à l'adoption de l'alcool se situent, les difficultés financières : manque de devises, ou impossibilités d'assurer l'approvisionnement en produits pétroliers (blocus) ou encore la nécessité de réserver le pétrole à des emplois techniquement ou économiquement plus justifiés (cas du caoutchouc synthétique par exemple).

Les avantages techniques sont mis en évidence par les considérations suivantes, valables dans l'état actuel de la technique des moteurs classiques à pistons, dans lesquels le rendement reste lié au rapport volumétrique de compression. Or, on sait que l'accroissement de celui-ci est limité, indépendamment des contraintes mécaniques, par l'apparition des phénomènes de détonation et d'auto-allumage.

En ce qui concerne l'auto-allumage, par points chauds, il est plus ou moins, facile d'y remédier par une disposition convenable de l'architecture du moteur, le choix des matériaux, les conditions de refroidissement, etc... Ces mêmes facteurs ont également une influence encore plus marquée, sur la détonation, phénomène dont l'explication a donné lieu jusqu'ici à plusieurs hypothèses et à un seul remède : la réalisation de carburants... indétonants et pour lesquels on a construit assez empiriquement la théorie aussi fragile que conventionnelle de l'indice d'octane.

Or, précisément, des recherches nouvelles sur les carburants et les moteurs d'aviation ont mis en évidence la fragilité de cette théorie. En effet, pour les carburants fortement indétonants et les taux de compression élevés, les résultats enregistrés sur moteur expérimental ne sont plus reproductibles sur moteur réel. Si bien qu'actuellement on est à la recherche d'un nouvel indice de qualité. La solution ne sera pas trouvée sans mal, puisque d'une étude toute récente de M. Carbonaro, il apparaît que 16 facteurs principaux sont responsables de la détonation, dont 6 seulement dépendent de la nature du carburant, et les 10 autres, uniquement du mode de carburation ou de la structure et du régime du moteur.

Comme nous inclinons à penser que cette question n'est pas sans intérêt, à divers titres, pour les lecteurs de cette revue, nous l'examinerons plus à loisir dans le cadre d'un prochain article.

Pour ne pas laisser le lecteur sur sa faim, disons dès maintenant que, si les alcools, et plus spécialement le méthanol, ont marqué dans les essais récents, une très nette supériorité sur les hydrocarbures, ils le doivent à certaines caractéristiques particulières qui en recommandent l'emploi pour l'établissement de moteurs à haut rendement. Celui-ci, dans les moteurs à pistons, reste lié aux taux de compression élevés. Les caractéristiques intéressées sont, notamment : la température d'inflammation élevée (460° pour le méthanol contre 285° pour l'essence) qui retarde d'autant le moment où la vitesse de réaction — réaction chimique dans la chambre de combustion ménagée dans la partie haute du cylindre — prend une valeur énorme. Cette température caractérise l'instant où tout le mélange s'enflamme pour ainsi dire d'un seul coup. Une basse température d'inflammation ne permet donc pas de pousser très loin la compression.

La très forte chaleur de vaporisation des alcools, par prélèvement de calories dans le milieu ambiant, a pour effet d'assurer un refroidissement énergique interne. En abaissant la température en fin de compression — ce qui s'effectue plus efficacement dans le cas où le carburant est introduit directement dans le cylindre, sans avoir été « réchauffé » extérieurement (précisément pour fournir les calories nécessaires à la vaporisation et favoriser la pulvérisation assurée insuffisamment par les carburateurs classiques) — on réduit les risques d'auto-inflammation prématurée.

Quant à la chaleur spécifique des alcools, plus élevée que pour les hydrocarbures, elle se traduit par des valeurs moindres de la pression d'explosion.

En d'autres termes, l'alcool, en réduisant sensiblement les contraintes thermiques et mécaniques, supporte plus aisément que les hydrocarbures les taux de compression élevés, lesquels tendent, précisément, à accroître ces mêmes contraintes.

C'est pourquoi, à défaut de l'emploi de l'alcool pur, les aviations : allemande d'abord, puis américaine et anglaise, ont fait appel à des dispositifs d'injection temporaire de méthanol, mais plus exactement de mélange eau-méthanol, afin d'obtenir des surpuissances momentanées, notables, aux moments critiques, soit au décollage, soit pour des manœuvres tactiques.

Les visiteurs attentifs du Salon de l'Aviation ont pu remarquer en effet, que tous les moteurs modernes : Napier-Sabre, Bristol « Hercules » et « Centaure », Rolls-Royce « Merlin » et « Griffon », Wright « Cyclone », Pratt et Withney le «Wasp Major » comme le « Double Wasp », comportaient tous de tels dispositifs assurant des surpuissances de l'ordre de 20 à 40%. Le « Wasp Major » peut ainsi fournir, au décollage, 3.550 CV avec injection, contre 3.295 CV normalement. Quant au Napier-Sabre, passant de 2.400 CV à 3.055 CV avec injection d'eau et de méthanol, il accuse ainsi 83,5 CV par litre de cylindrée, et pour un poids de moteur de 328 gr. par CV. Ce qui est évidemment une belle performance à inscrire à l'actif de l'alcool en tant que carburant, auxiliaire il est vrai, d'aviation.

On peut donc rectifier, dans un sens favorable, l'opinion, du lecteur qui constate ainsi que l'alcool a déjà sa part dans l'aviation, et nombre d'aviateurs lui doivent la vie, pour avoir simplement manœuvré, au moment opportun, la tirette commandant l'injection de surpuissance du méthanol.


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