vendredi 12 octobre 2018

1924 : Interviews sur le Carburant National

Valeur technique du Carburant National (C. N)


Histoire de l'E85 / Superéthanol du XIXe siècle à nos jours







Le nouveau carburant, constitué de 50% d'alcool dénaturé à l'huile de crésote de hêtre et 50% d'essence ou benzol, marche-t-il ?

Nous nous sommes livré à une enquête régionale et extra-régionale auprès des usagers qui nous ont été signalés comme tels ; nous nous faisons un devoir de faire connaître aux détenteurs de véhicules automobiles, les renseignements qui nous sont parvenus et que voici :

a) CEUX QUI SONT POUR LE C.N.


« Nous avons, en effet, employé l'année dernière, sur nos camions automobiles, marques Saurer et Berliet, le carburant national, alcool à 90° et benzol.

Nous avons constaté une augmentation de consommation de 20% environ sur l'essence et, par conséquent, il y aurait économie financière si le C. N. revenait à environ 30% meilleur marché que l'essence.

Nous avions une légère diminution de puissance, peut-être 5% mais cela ne gênait en rien les moteurs qui sont calculés largement.

Pour employer le C. N, nous étions obligés, par suite de sa plus forte densité, de charger le flotteur du carburateur.

Nous n'avons pas constaté d'usure anormale des moteurs et nous avons dû renoncer au produit uniquement parce que, finalement, avec le prix de l'essence, nous n'avions aucun avantage à prendre le C. N. ».

(Froidvent, par Voulaines (Côte-d'Or), 24 juillet 1924).


Une conclusion se dégage de cette lettre : le carburant marche, mais il n'est pas financièrement avantageux.


« J'ai réglé à ce jour, pour ce combustible, environ une trentaine de voitures de toutes marques : Citroën 5 et 10 C. V., de Dion, Zédel, Chenard, Salmson, Berliet, etc. ; j'ai commencé à préconiser le carburant en janvier dernier, c'est-à-dire en plein hiver, je n'ai jamais eu d'ennuis et tous mes clients sont enchantés du résultat.

D'une façon générale, le rendement est meilleur qu'à l'essence, surtout en côte ; la calamine n'existe plus ou presque plus.

L'économie est réelle puisque le carburant national coûte généralement deux francs de moins que l'essence par bidon, et que pour un moteur de 10 C. V., par exemple, on brûle un litre de plus aux 100 kilomètres.

Pour certains cas, et surtout lorsqu'il fait chaud, on peut laisser le même réglage que pour l'essence ; c'est à étudier pour chaque moteur et avec un peu d'expérience, le garagiste arrive toujours à un très bon résultat.

Les seuls inconvénients que j'ai constatés sont :
  1. la mise en marche est un peu plus dure par temps froid ;
  2. le mélange abîme la peinture.
On pare au premier quand il se produit, en injectant, un peu d'essence dans les purgeurs ou dans le carburant au premier départ, et au deuxième, en mettant tout simplement un chiffon autour du goulot du réservoir. »

(Revue Cycle et Automobile Industriels de juillet 1924. Lettre de M. Bouniol, de Nîmes).


« J'ai fait avec du C. N pur, formule Sabathier, densité 77°, un parcours de 340 kilomètres (Toulouse-Lourdes et retour), que je faisais habituellement avec l'essence ; même voiture, même charge exactement et même route.

Le résultat a été très nettement favorable au C. N. ; même consommation moyenne, donc économie, plus de souplesse et de puissance. J'ai beaucoup mieux monté les côtes, le moteur ne cliquette en aucun cas et la vitesse en palier est un peu supérieure.

J'emploie un carburateur Zénith vertical, réchauffé par aspiration d'air pris autour du tuyau d'échappement ; je crois que ce réchauffage est indispensable pour la bonne marche du C. N. Pas de modification de gicleur, ni de flotteur ou d'avance à l'allumage.

En résumé, j'adopte le C. N, tout au moins pour l'été, car je ne sais ce qu'il donne par de grands froids. »

(Revue Cycle et Automobile Industriels du 6 juillet 1924. Lettre de M. Gautrou, secrétaire général de la Chambre Syndicale de l'Automobile de Toulouse).


« Ma voiture est une De Dion-Bouton avec carburateur Zénith. A la suite d'un échange de correspondance avec Zénith, j'ai fait des essais en changeant certaines pièces, suivant ses conseils. Avec l'essence, ma voiture marche parfaitement avec un jet de 70. un compensateur de 70, un ralenti de 50 ; avec le carburant national, j'utilise un jet de 80, un compensateur de 80 et un ralenti de 55.

Le rendement des moteurs est incomparable ; pas besoin de munir les carburateurs de réchauffeurs, ni de démarrer avec de l'essence dans les purgeurs ; il suffit d'appeler le carburant, comme pour l'essence, et le moteur partira au démarrage électrique. L'emploi du carburant donne de la souplesse au moteur ; on peut lever le pied de l'accélérateur jusqu'à la vitesse de 20 kilomètres à l'heure et s'y maintenir en quatrième vitesse en palier, sans entendre cogner le moteur. J'ajoute que ma voiture n'est pas neuve puisqu'elle a fait 16.000 kilomètres.

Ma consommation est de 20% plus élevée qu'avec l'essence ; je réalise cependant une économie de 3 francs aux 100 kilomètres.

Quant aux marchands d'essence -- je veux parler des Raffineurs — tant que ceux-ci maintiendront un écart de prix de 20% entre le Tourisme et le Carburant, nous ne ferons aucune sérieuse économie.

Quoi qu'il en soit, je continuerai, pour ma part, à utiliser le carburant et je ne saurais trop engager mes collègues à m'imiter. »

(Proqrès Agricole et Viticole du 6 juillet. Lettre de M. Ducassou, propriétaire à Montbazin (Hérault)).


« Je me vois obligé de conclure qu'avec un réglage difficile, M. Ducassou obtiendrait certainement une meilleure utilisation de son carburant. A mon avis, il pourrait diminuer d'un numéro le jet principal en augmentant sensiblement son avance à l'allumage. Le résultat obtenu serait une marche au moins aussi satisfaisante, sinon meilleure, mais une consommation un peu inférieure et moins d'échauffement. »

(Henri Vilar, vice-président de l'Automobile - Club du Roussillon, Progrès Agricole et Viticole du 3 août 1924).


« Tenons-nous en à la simple constatation de faits : le carburant marche-t-il ou ne marche-t-il pas ?

Réponse : il marche.

J'entends par là, qu'après avoir légèrement modifié le gicleur ou le diffuseur du carburateur de la voiture, on peut remplir de C. N. le réservoir et rouler avec régularité, avec puissance, sans avoir à redouter aucun inconvénient grave (par exemple, l'attaque des champignons, des soupapes), qui vous empêche ensuite de revenir au fonctionnement à l'essence, si on le désire.

Quel phénomène s'est-il donc passé depuis l'apparition, ici, de mes articles contre l'alcool ? Simplement que l'industrie a trouvé le moyen de produire de l'alcool absolu (99°5), débarrassé aussi de produits sulfureux qui rongent peu à peu le métal.

Nous conseillons, répétons-le, à tous nos camarades nantis d'une automobile, de faire l'essai du nouveau carburant ; et je crois sincèrement que beaucoup l'adopteront.

Voici, en effet, les résultats qu'ils pourront contrôler : la consommation est légèrement augmentée, mais le prix d'achat de ce combustible est bien inférieur à celui de l'essence ; la puissance n'est pas diminuée en dépit de la différence des pouvoirs calorifiques des deux carburants, en raison du meilleur rendement thermique de l'alcool ; certains prétendent même que la puissance est un peu augmentée; les côtes semblent plus facilement gravies.

Un seul méfait demeure au passif de ce carburant, il dissout la peinture. Soyez donc adroits dans remplissage du réservoir ; si du liquide est projeté hors de l'entonnoir, ne l'essuyez pas, laissez-le sécher. »

(Baudry, rédacteur en chef de la Revue du Touring-Club, numéro de mars 1924).



Nous insistons sur ce fait que le rendement thermique est meilleur du fait que le moteur chauffe beaucoup moins et que la consommation d'eau est moindre ; par conséquent, bien que la puissance calorifique du C. N est inférieure à celle de l'essence, il est rationnel d'admettre que la puissance du moteur fonctionnant au C.N. ne soit pas diminuée: ceci, pour répondre à certains directeurs d'agences qui nous ont affirmé inévitable, la diminution de puissance, du moment que le pouvoir calorique est moindre.

Certains directeurs d'entreprises (nous ne précisons pas davantage) ayant insinué que, du moment que la Société des Transports en Commun, a abandonné le C. N, celui-ci ne vaut rien, nous nous empressons de publier la lettre, reçue à ce sujet :

« Notre Société consomme, par mois, en moyenne 8.500 hectolitres d'alcool à 95° ; tous les omnibus et camions de service sont alimentés avec le même mélange. Nous n'utilisons plus le mélange 50% alcool à 95° et 50% benzol qui a été remplacé, depuis le mois d'avril 1923, par suite de la difficulté de ravitaillement en benzol, par le mélange ternaire :
  • Alcool à 95° : 1/3 en volume ;
  • Benzol : 1/3 en volume ;
  • Essence 1/3 en volume.
Le rendement peut donc être considéré comme bon ; d'une façon générale, aussi bien avec le mélange alcool-benzol qu'avec le mélange alcool-essence-benzol, les conditions de fonctionnement sont satisfaisantes.

Les corrosions constatées antérieurement, au début de l'utilisation du mélange alcool-benzol, provenaient du titre inférieur de l'alcool (90°) utilisé et probablement aussi du dénaturant ; elles ont été notablement réduites avec l'emploi d'alcool à 95°. Depuis l'introduction du mélange ternaire, il n'a pas été fait d'observations spéciales à ce point de vue, non plus qu'à celui des encrassements de cylindres. »

(Lettre du 24 juillet 1924, de la Société des Transports en Commun de la région parisienne).

«

  • Composition du carburant employé 50% alcool, 50% essence.
  • Quantité mensuelle utilisée, 480 hectolitres.
  • Consommation de 3 à 4% plus élevée que celle de l'essence employée seule.

Tous nos véhicules sortent des Etablissements Ch. Blum, de Suresnes ; véhicules industriels Latil, carburateurs Solex, sans autre modification que le réglage ordinaire. En résumé, jusqu'ici, nous avons eu satisfaction. »

(Compagnie Générale d'Entreprises-Automobiles, 2, rue du Bois-de-Boulogne, Paris. Lettre du 7 août 1924).


Nous nous sommes adressé aux carburateurs Zénith et Solex.

Voici leurs réponses :

« Le meilleur C. N. est celui composé de benzol-alcool. Son emploi nécessite le remplacement du flotteur par un flotteur pour combustibles lourds. Pour le carburant national essence-alcool, le changement du flotteur n'est pas nécessaire. Dans les deux cas, il faut changer le réglage et augmenter le jet d'environ 3 numéros ou le jet de 2 numéros, et le compensateur, de 2 également.

La consommation du moteur est, en volume, augmentée de 20% environ, lorsqu'on emploie l'un ou l'autre des deux carburants nationaux.

Un très bon réchauffage est nécessaire pour l'emploi de ce carburant.

A noter également que la mise en marche devient très difficile et l'emploi de la coupole à obturation, ou d'un volet de départ, est absolument nécessaire. Par temps froid, il sera souvent même indispensable de mettre de l'essence dans les robinets purgeurs ou par les bougies, à défaut de robinet ...

Quant à l'encrassement, il ne nous a pas été donné, jusqu'ici, de vérifier un moteur ayant fonctionné longtemps au carburant national. »

(Carburateur Zénith. Lettre du 22 juillet 1924).


« Les renseignements que vous nous avons détaillés d'une manière aussi précise que possible vous seront sans aucun doute, suffisants pour vous permettre d'obtenir un excellent rendement de notre carburateur...

Etant donné que le pouvoir calorifique de l'alcool est inférieur à celui de l'essence, il est nécessaire en principe d'augmenter d'un numéro ou deux le diamètre du gicleur principal normalement utilisé pour la marche à l'essence (poids lourd ou touriste) en conservant la même prise d'air. Quant au gicleur auxiliaire, il pourra être suivant la tolérance du moteur, augmenté d'un numéro.

La densité de l'alcool étant légèrement supérieure à celle de l'essence, on peut être amené dans certains cas, suivant la teneur en alcool, et pour maintenir un niveau normal dans le porte-gicleur de l'appareil, à remplacer le flotteur utilisé pour la marche à l'essence par un autre flotteur de quelques grammes plus lourd ; généralement le changement n'est pas nécessaire.

Pour obtenir des résultats satisfaisants de l'utilisation du C N, il sera indispensable de prévoir un dispositif de réchauffage sur l'entrée d'air du carburateur ; ce dernier sera réalisé à l'aide des pièces de série que nous fournissons pour chaque modèle de carburateur.

L'usage du carburant national dans les moteurs actuels, rendant en général la mise en marche assez difficile lorsque le moteur est froid, il y aura avantage à monter sur le carburateur un dispositif spécial avec volet de départ, que nous fournissons sur demande si toutefois ce dispositif n'existe pas déjà ».

(Carburateur Solex. Lettre du 23 juillet 1924).


b) CEUX QUI MODIFIENT LE C. N


« J'ai employé le C N mélangé à de l'essence dans dos proportions approximatives de 1/3 à 1/2 de carburant (soit 1/4 alcool + 3/4 essence ou 1/6 alcool + 5/6 essence) dans 3 moteurs différents : Ford (une tonne, 14 CV) ; Renault (6 CV) ; Moto (?) (1 CV 1/2), avec carburateurs d'origine sans modifications.

Je n'ai trouvé à l'usage aucune différence sensible, sauf en ce qui concerne bien entendu, la dépense qui se trouve de beaucoup diminuée ».

(Saint-Romain, Côte-d'Or. Lettre du 24 juillet 1924).


Certaine entreprise que nous ne sommes pas autorisé à désigner, emploie le mélange carburant national (50 alcool anhydre + 50 benzol brut de Gevrey-Chambertin) livré sur demande par le dépôt d'essences Mercusot (derrière la gare Porte Neuve de Dijon) et additionné de benzol brut de Gevrey, en quantité telle que le nouveau carburant contienne 1/3 alcool anhydre + 2/3 benzol brut.

Cette entreprise vend son carburant à certains détenteurs de camions : Les résultats sont excellents et l'économie est assez sérieuse.


c) GARAGISTES ET MARCHANDS D'ESSENCES SONT-ILS POUR OU CONTRE LE CARBURANT NATIONAL ?


Sur 28 garagistes et directeurs d'agences que nous avons vus personnellement tant à Beaune qu'à Dijon, pas un ne vend du C N.

4 (soit 14%) l'ont essayé personnellement et 2 l'ont abandonné, ayant obtenu des résultats défavorables :

  • l'un d'eux-reconnait qu'en faisant des essais pour chaque type de moteur, on arriverait à mettre au point les modifications nécessaires ;
  • l'autre prétend que le C N encrasse, chauffe et entraîne une diminution de puissance (85 km-heure au lieu de 90 en palier), ce qui est formellement contredit par les lettres que nous avons reçues.

Le Directeur du garage. 16, rue de la Houblonnière, Dijon, a expérimenté le C N sur ses camions Latil, carburateur Solex, sans modification aucune « accroissement de consommation 12% (20% dit-on. dans une lettre citée plus, haut, pour les mêmes moteurs et les mêmes carburateurs), mais économie réelle ; C N abandonné provisoirement par suite de difficultés d'approvisionnement dont serait responsable le représentant fournisseur d'essence ».

La grosse majorité des garagistes méconnaissent ou ignorent complètement le nouveau carburant ; à ceux qui se souviennent d'expériences défavorables faites les années dernières, nous croyons devoir rappeler que le C N actuel est complètement différent des formules d'essais, antérieurement utilisées.

Les garagistes réalisent des profits très faibles sur la vente de L'essence ; aussi, il leur importe peu de vendre du C N ou de l'essence. Ils oublient ou ignorent que les modifications à apporter au moteur sont génératrices de profits pécuniaires.

Quant aux représentants en essences, ils reçoivent une commission double sur les ventes de C N ; ils n'ont donc pas intérêt à le combattre. Qui peut en fournir ?

M. Marceau, place de la République (près du café des Tilleuls) Dijon, peut en livrer dans les 8 jours qui suivent la réception de la commande, par bidons de 50 litres, transport de Saint-Jean-de-Losne au domicile de l'acheteur en plus ; le C N vaut actuellement 20 francs de moins par hectolitre que l'essence poids lourds.

De tout ceci, que conclure ?



  1. Que les résultats contradictoires obtenus avec le C N tiennent à ce qu'il n'y a pas un C N mais des .C N (alcool-essence ou alcool-benzol) de valeur inégale, ou à ce que l'expérimentation n'a pas été précédée des modifications de réglage nécessaires, ou à ce qu' « une légère diminution de puissance ou un léger accroissement de consommation sont considérés par certains esprits chagrins comme" des vices rédhibitoires ».
  2. Que le C N peut et doit marcher et qu'il est économique.
  3. Que par suite'des difficultés de ravitaillement en cours de route, le C. N paraît convenir tout particulièrement aux véhicules qui ne s'écartent pas trop de leur point d'attache.
  4. Que l'économie réalisée est évidemment plus intéressante pour une entreprise dé transports que pour un simple particulier.


R. BICHET.


N. B. — « Au sujet de l'hygroscopicité de l'alcool anhydre, il convient également de réfuter à nouveau certaines légendes ; en fait l'alcool anhydre n'est pas plus hygroscopique que l'alcool à 95°. C'est un fait que le service des alcools peut aisément constater aujourd'hui sur les stocks importants qu'il conserve et qu'il transporte dans les mêmes conditions que l'alcool industriel à 95-96° ».
(G. Patart, inspecteur général de poudres. Conférence faite le 26 janvier 1924 à la Société d'Encouragement pour l'Industrie nationale).

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