samedi 3 février 2018

1897 : La question de l'alcool moteur

L'Agriculture et les Automobiles.


Qui regarde la Face ne voit que le beau côté de la médaille... la Pile est généralement beaucoup moins belle, beaucoup moins : et il en est précisément ainsi pour le développement, tant souhaité, de l'usage des Véhicules automobiles.

La Face, c'est la rapidité des communications, le bon état du pavé en bois qui ne sera presque plus pioché par les sabots des chevaux, la diminution des accidents dont la majeure partie sont causés par ces derniers, etc..

La Pile, c'est le désarroi de l'Agriculture : en admettant que, dans la seule ville de Paris, toutes les Compagnies de voitures de louage, ainsi que celle des Omnibus, n'aient plus que des voitures sans chevaux, c'est plus de 50.000 de ces derniers qui disparaîtront de la ville.

Or, la nourriture d'un cheval ne pouvant pas coûter moins de 2 francs par jour, c'est une somme égale à 2x50.000x365, qui ne sera plus versée entre les mains de nos agriculteurs, en échange de leur avoine, de leur foin, de leur paille, de leur son, etc..

L'Agriculture française perdra donc, à cette transformation si vivement souhaitée, pour la ville de Paris seule, la somme ronde de 36 millions 500.000 francs !

Voilà : et si le mouvement s'accentue, comme il est probable, la perte totale pour toute la France se chiffrera par centaines de millions !

Cette éventualité redoutable a frappé quelques esprits éminents, qui ont souci de l'avenir de nos populations agricoles déjà si éprouvées.

Si, à côté de la culture du blé peu rémunératrice et qui, pour des quantités de raisons diverses, tend à le devenir de moins en moins, il faut envisager la disparition presque totale des cultures qui ont pour but l'alimentation des chevaux, il est urgent de songer dès à présent à celles qui les pourront remplacer.

C'est pourquoi l'on a considéré sous une nouvelle face la Question de l'Alcool.

L'Alcool pourrait d'abord être utilisé d'une façon beaucoup plus large qu'on ne l'a fait jusqu'à présent pour l'éclairage, à meilleur compte que le Pétrole, sur lequel la supériorité de l'Alcool est manifeste, même au prix auquel se vend actuellement, à Paris, l'Alcool dénaturé propre à l'éclairage.

L'on pourrait aussi, bien que le pouvoir calorifique de l'Alcool soit à celui du Pétrole comme 7 est à 10, utiliser l'Alcool à la production de mélanges explosifs pour la marche des Moteurs tonnants.

Ainsi serait résolue la question de la suppression de la mauvaise odeur du Pétrole, des suintements graisseux, etc., au plus grand bénéfice de notre Agriculture.

La solution du problème repose d'autre part sur la production à bon marché de l'Alcool de betteraves, de pommes de terre ou d'autres racines, et sur la découverte d'un procède sûr et très peu coûteux de dénaturation. Il faudrait, enfin, que l'Etat consentit à abaisser presqu'à zéro les droits sur les Alcools destinés au chauffage et à l'éclairage : il n'y perdrait pas, parce que cette consommation, de presque négligeable qu'elle est aujourd'hui, deviendrait considérable.

On en peut juger, en constatant que les États-Unis et la Russie ont importé en France en 1895, 268 millions de kilogrammes de pétrole brut et d'huiles de schiste, 25 millions de kilogrammes d'huiles raffinées et 40 millions de kilogrammes d'huiles lourdes, qui représentent une valeur d'environ 30 millions de francs, nets de tous droits.

Aujourd'hui, dans l'état actuel de cette industrie, les distilleries de campagne vendent leurs produits, aux environs de 40 francs l'hectolitre d'alcool à 90° ; mais on peut espérer que ces prix baisseraient grâce à la perfection des procédés et à cause du très grand développement de la fabrication.

Il ne faut pas oublier, du reste, que l'autre produit de la distillation, la pulpe, est précieux pour l'engraissement du bétail ; donc, si nos agriculteurs arrivaient à produire les quantités colossales d'Alcool qui seront nécessaires pour actionner tous les Véhicules automobiles qui remplaceront les chevaux, ils pourraient en même temps engraisser, un nombre considérable de bêtes de boucherie, voire même des chevaux, et rétablir ainsi l'équilibre de leurs budgets.


Louis LOCKERT.

Le Chauffeur — 21 — 10 Février 1897




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