vendredi 19 octobre 2018

1934 : histoire de l'alcool carburant depuis 1895

Résumé de l'histoire des carburant à base d'alcool industriel


Histoire de l'E85 / Superéthanol du XIXe siècle à nos jours


Un excellent article de synthèse qui explique l'histoire de éthanol comme carburant de 1895 à 1934 et qui règle quelques comptes.

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La question de l'alcool moteur


La substitution de l'alcool, carburant national, à l'essence de pétrole, carburant étranger, est à l'ordre du jour depuis quarante ans.

Nous croyons utile de présenter un court historique de la question de l'alcool moteur afin de bien dégager les raisons qui en ont entravé l'emploi jusqu'à maintenant.

Historique de l'alcool moteur. Ses origines


A partir de 1895, la production grandissante des distilleries de betteraves et de farineux fit tomber le prix de vente de l'alcool pur à l'extrême limite du prix de revient. Cependant, à cette époque, l'alcool d'industrie se partageait avec l'alcool de fruits la fourniture de la consommation de bouche.

Afin de pallier une crise agricole menaçante, on pensa à déverser dans les moteurs et dans les lampes l'excédent d'alcool dont les gosiers populaires se refusaient à absorber : la surproduction.

Dès 1907, une commission extraparlementaire, présidée par M. Ribot, se rangea à l'avis favorable de personnalités éminentes dont quelques unes sont encore de ce monde, entre autres MM. Lévy, Guiselin et Barbet, qui devint, depuis, président de la Société des Ingénieurs civils de France.

Dix ans après, un congrès fut organisé par l'Automobile-Club de France avec les concours des Chambres des industries automobiles, du cycle et des sports. Il fut présidé par M. Fernand David.

Ce Congrès émit un vœu réclamant la construction de moteurs susceptibles d'employer à volonté l'essence ou l'alcool.

Un carburant à base d'alcool fut mis en vente.

Les vieux de l'auto se souviennent du mélange Leprêtre, composé de 50% d'alcool et de 50% de benzol épuré. A cette époque, l'opinion publique se montra favorable à ce carburant 100/100 national.

Il en résulta une montée subite du prix de l'alcool. La spéculation, probablement aidée par les importateurs, avait accompli ce miracle.

Naturellement Je mélange Leprêtre cessa d'être économique et l'essence, dont la consommation commençait à devenir importante, au lieu de rester un sous-produit de la fabrication du pétrole lampant, devint seule maîtresse du marché des carburants.

On avait bien penser à mélanger l'alcool à l'essence. Malheureusement l'alcool hydraté, même à 95% de pureté, tel qu'il sortait des colonnes de distillation n'était pas miscible à l'essence, sans la présence d'un tiers-solvant. Le problème ne fut résolu qu'après la guerre. Dès lors, l'alcool concentré à 99°5, c'est-à-dire pratiquement anhydre, put être mélangé à l'essence.

Ce carburant mixte présentait le double avantage de freiner nos importations d'essence et d'assurer à nos distilleries le débouché d'une partie de leur production.

On en profita pour réserver aux alcools de fruits la consommation de bouche.

Naissance du carburant national


Au nom de l'Egalité et de la Fraternité, l'alcool d'industrie décidément banni du Gotha de la Bistrocratie obtint une petite compensation ; la loi lui réserva les emplois industriels, et, pour lui trouver un client sérieux, le Parlement décida, par une loi promulguée le 28 février 1923, que les importateurs devraient, à l'avenir, acquérir une quantité d'alcool absolu égale à 1/10 de leurs importations d'essence; mais sans leur assurer l'écoulement. Cependant, pour en faciliter l'emploi, on décida de créer un nouveau carburant mixte qu'on décora du titre faux de carburant national puisqu'il ne contenait que 50% d'alcool dénaturé à 99°5 de pureté pour 50% d'essence de pétrole.

Il eut fallu pour donner à cette union des raisons sérieuses de durée, ajouter au mélange alcool essence un tiers solvant national. Cet unisseur était tout trouvé et le sénateur Baron le proposa : c'était le Benzol. A cette idée de réquisitionner en temps de paix un troisième carburant, tous , les partisans du libéralisme s'émurent. 

Au nom de la liberté chérie, les benzoliers gardèrent le loisir d'employer leur produit à leur guise et les pétroliers continuèrent à patauger dans leur mare d'alcool en maugréant à qui mieux mieux.

A ce moment on ne prévoyait pas encore la très rapide augmentation de la consommation. Le carburant national fut lancé dans le commerce sans le moindre enthousiasme.

Abrités derrière des boucliers d'argent les vaillants calomniateurs de l'alcool se glissèrent dans les rangs des usagers et leur distribuèrent des arguments à la fois vraisemblables et mensongers.

« Calomniez, calomniez, disait dom Basile, il en restera toujours quelque chose. »

Les bons apôtres du pétrole se lamentaient et clamaient en chœur que le carburant national n'aurait jamais les faveurs du public.

Manifestations méridionales


Devant cette opposition systématique, les Méridionaux, essayèrent de réagir : il y allait de leurs intérêts. L'Automobile-Club du Midi organisa une grande manifestation à Toulouse. Des expériences du carburant national furent entreprises sur de longs parcours et, en octobre 1923, le professeur Sourrisseau présenta un rapport contresigné par des savants tels que Mailhe qui mourut professeur à la Sorbonne et le doyen Sabatier, membre de l'Institut et prix Nobel de chimie.

Les conclusions de ce rapport étaient formelles :

 « Avec le carburant national on peut obtenir les avantages suivants :
  1. à la température moyenne de la France, c'est-à dire entre 5° et 25°, le démarrage est facile ;
  2. les reprises sont toujours meilleures qu'à l'essence ;
  3. le moteur a plus de souplesse et monte plus facilement les côtes avec le carburant national ;
  4. la quantité d'eau nécessaire pour le refroidissement est moindre qu'arec l'essence ;
  5. la consommation, en litres, de carburant national est à peu près la même qu'avec l'essence sans surcompression du moteur qui ne présente jamais la moindre trace d'oxydation. »

Décès du carburant national


Ces constatations datent de dix ans, et, durant cette décade, tous les efforts des usagers intelligents pour faire adopter le carburant national ont été combattus par la mauvaise volonté des fournisseurs et des distributeurs, à un tel point que le pauvre carburant national finit par présenter des symptômes très graves d'anémie commerciale. Pour ne pas le laisser mourir de sa belle mort, on le tua en lui substituant une nouvelle formule capable d'endiguer la marée d'alcool qui menaçait d'inonder l'Office collecteur.

L'essence tourisme


Afin de n'effrayer personne on prêta au nouveau mélange « alcool essence », le vieux nom d'Essence Tourisme et le 23 mars 1933 un décret lui donnait l'existence légale. L'essence tourisme devait contenir une moindre quantité d'alcool ; 10 à 20% seulement au lieu de 50% comme feu le carburant national. Malgré cette notable concession à l'opinion dite publique, les gens de mauvaise volonté ne désarmèrent pas.

L'essence tourisme hérita de la mauvaise réputation du C. N.

On eut beau donner la plus large publicité aux expériences prouvant l’innocuité de l'alcool sur les métaux des moteurs, refaire un rallye autour de la France où le nouveau carburant fut largement employé sans le moindre inconvénient. Rien n'y fit !

C'est entendu, dirent les gens convaincus d'avance, nous croyons les savants, l'alcool, en lui-même, est inoffensif, le coupable doit être le dénaturant imposé par le fisc.

On juge de la valeur de cet argument quand on connaît la formule du dénaturant. La voilà :

« A cent litres d'alcool pur on ajoute : 1 litre de benzol, 0,3 de benzine « Régie », 6 grammes d'anthracène et 2 centilitres d'éther éthyle borique. »

Les dernières charges contre l'alcool moteur


Malgré les nombreuses expériences effectuées, les essais multiples exécutés sur route durant des années et contrôlés par les services de l'armée et les ingénieurs spécialisés dans la question des carburants, les ennemis de l'alcool carburant tentèrent un dernier assaut.

Comme il n'y a pas de fumée sans feu, j'ai tenu à rechercher les nouveaux prétextes invoqués contre l'essence alcoolisée.

Pour y parvenir, je me suis adressé directement aux garagistes possédant une clientèle instruite et intelligente, incapable de se plaindre la légère.

Ces garagistes m'ont signalé cinq inconvénients dignes d'être retenus :
  1. Le mélange alcool-essence pique le métal de certaines soupapes ;
  2. Le mélange abîme certains carburateurs ;
  3. L'alcool détériore les joints à base de caoutchouc ;
  4. En décapant les réservoirs, l'alcool libère des particules solides qui restent en suspension dans le carburant et sont capables de boucher les gicleurs des carburateurs ;
  5. Le mélange essence-alcool dissout le vernis des carrosseries.
Voilà ce qu'il faut en penser :

En ce qui concerne le métal des soupapes, qui travaillent à chaud, l'essence tourisme ne saurait être incriminée, puisque la majorité des soupapes neuves, de l'aveu même des garagistes, ne sont pas attaquée depuis l'emploi du nouveau dénaturant.

Le carburant alcoolisé abîme les carburateurs dont le métal est constitué par un alliage à notable proportion de zinc. Les carburateurs en bronze ne sont pas attaqués. La corrosion des alliages zingués est d'ailleurs extrêmement lente et il serait facile d'y remédier.

Quant au décapage des réservoirs, c'est-à-dire à leur nettoyage par l'alcool, tous les automobilistes interrogés m'ont déclaré que cet inconvénient pouvait être évité en filtrant le carburant pollué. Dès le second remplissage du réservoir devenu propre, l'essence alcoolisée reste claire.

L'alcool détériore les raccords en durit ! Mais l'essence corrode également le caoutchouc. Tout bien considéré, les pannes causées par ce minime inconvénient sont extrêmement rares et faciles à réparer si l'on la, dans la boîte à outils, un joint de rechange.

Une seule accusation est à retenir : la dissolution du vernis des capots.

C'est en effet le reproche à la fois le moins grave et le plus sérieux, Avec un peu.de soin, on peut éviter de laisser tomber le carburant sur la peinture et, en tous cas, si quelques gouttes d'essence tourisme se sont échappées, un immédiat coup de chiffon préviendra le petit dégât.

L'alcool tonifie l'essence


Tout le monde devrait savoir que 'l'essence n'est pas un fractionnement homogène du pétrole. Elle contient, en proportions souvent variables, deux carbures d'hydrogène, voisins dans leur propre série chimique, mais ne présentant pas les mêmes propriétés : l'heptane et l'octane.

L'heptane provoque le cognement des moteurs, l'octane au contraire est très peu détonant.

Il résulte de cette différence qu'une essence contenant beaucoup d'octane peut supporter une forte compression des pistons du moteur dont le rendement se trouve ainsi augmenté. L'alcool joue le même rôle dans le mélange dénommé « carburant tourisme », il freine les propriétés détonantes de l'heptane et perfectionne les qualités de l'octane.

Arguments économiques contre l'alcool


Les détracteurs de l'alcool carburant ne se sont pas uniquement adressés aux usagers de l'automobile. Ils ont imaginé de soulever l'opinion publique au nom de l'intérêt général.

La première raison économique invoquée semble à première vue irréfutable. L'alcool est un carburant de qualité inférieure au point de vue calorifique. Tandis que l'essence confient 7.500 calories au litre, l'alcool n'en possède que 5.900, soit plus d'un cinquième en moins.

Vous avez remarqué qu'une lampe à alcool, même à flamme libre, ne fume jamais et donne une lumière blanche, il n'en est plus de même de la flamme d'une lampe à essence qui, sans appel d'air supplémentaire, donne une lumière jaune et laisse un halo de suie sur une plaque métallique placée au-dessus.

La raison en est qu'il y a calorie et calorie, comme il y a fagot et fagot. Il faut moins d'air pour brûler un litre d'alcool que pour oxyder un litre d'essence, soit par kilogramme 7 m3 4 pour l'alcool et 12 m3 3 pour l'essence. De sorte que, finalement, 1 m3 de mélange alcool et air donne à la même compression à peu près la même quantité de calories utilisables. En raison de sa très grande facilité de vaporisation, l'alcool se montre même un peu supérieur à l'essence.

Si l'on veut profiter au maximum des qualités antidétonantes de l'alcool, le moteur peut être surcomprimé sans danger de cognement, et, dans ces conditions nouvelles, le mélange alcool-essence devient plus économique que l'essence pure.

Deuxième argument contre l'alcool.

L'achat par l'Etat de l'alcool d'industrie grève notre budget national.

Jusqu'à présent il n'en a rien été et même le boni réalisé par l'Etat sur les prix des rétrocessions d'alcool faites aux différentes industries atteignait l'année dernière près d'un milliard de francs dont les 9/10 ont servi à aveugler quelques petites fissures du dernier budget.

Il est vrai que dans un avenir rapproché, la production d'alcool devenant de plus en plus importante, l'Etat pourrait se trouver en face d'un stock d'alcool dont le placement deviendrait impraticable en dehors de son emploi comme carburant.

Mais le remède est déjà préparé. Le contingentement de la production d'alcool et de sucre opposera une digue certaine et immédiate à ce débordement d’Éthanol.

Si ce contingentement se montrait insuffisant on devra se souvenir que le régime d'exception fait aux alcools d'industrie par le privilège accordé aux alcools de fruits doit avoir pour conséquence une solidarité étroite entre la viticulture et l'agriculture.

Cette solidarité des forces productrices de la Nation intéresse l'avenir de la prospérité française. Il ne faut pas oublier que, par incidence, l'introduction massive d'essence étrangère est bien plus dangereuse pour la richesse nationale que tous les accords grevant la consommation intérieure. Rappelons-nous que nos achats actuels de pétrole tendent à représenter le tiers du déficit de notre balance commerciale, et même beaucoup plus que ça, si au lieu de considérer le déficit global de cette balance nous envisagions le déficit spécial de nos échanges avec les pays fournisseurs de pétrole.

Les arguments accumulés contre l'emploi de l'alcool moteur vont à rencontre des intérêts du pays. Tous ont été imaginés par des gens dont les intérêts particulier; n'ont rien de commun avec l'intérêt général français.



F. LE MONNIER,

Ingénieur agricole,
Ancien secrétaire général
de la Société d'Etude
du carburant national.

Extrait de l'Action agricole.

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