dimanche 3 septembre 2017

1935 : La valeur technique de l'alcool-moteur

Extraits de "L'Économie dirigée et le problème agricole français"


Histoire de l'E85 / Superéthanol du XIXe siècle à nos jours



Pompe Volucompteur depuis 1936


Depuis quelque vingt ans, la question de l'alcool carburant a fait couler beaucoup d'encre. Des essais effectués récemment en France n'ont pas donné les résultats escomptés. Les revendeurs d'essence que la loi oblige, nous l'avons vu, à une certaine reprise d'alcool ont subi des plaintes innombrables de leurs clients mécontents d'un mélange que leur moteur supportait mal.

Les propriétés intrinsèques de l'alcool furent naturellement rendues responsables de cet état de choses : seules en réalité les conditions défectueuses d'emploi du nouveau carburant auraient mérité d'être incriminées. Les travaux récents de nombreux savants français et étrangers l'ont en partie réhabilité. Les expériences pratiques de plusieurs pays ont d'ailleurs été concluantes .

Il est temps aujourd'hui que le grand public connaisse en France la valeur technique de l'alcool carburant.

L'idée première de l'utilisation de l'alcool comme carburant remonte à une trentaine d'années. Très vite dans ce début, une conclusion s'impose : pour être employé seul, l'alcool exige des moteurs spéciaux, qu'il est impossible de faire marcher avec de l'essence. La formule ne pouvait pas tenir, elle n'a pas tenu. Et cette notion était encore la seule précise que l'on possédât sur le problème avant la guerre.

Dès 1919, la nécessité de liquider les énormes stocks accumulés stimula les chercheurs : et l'on songea à adopter un moyen terme consistant à mélanger l'alcool avec d'autres carburants, plus particulièrement avec l'essence. A cette date est né le carburant national. Sa formule est bien simple : 50 % d'alcool absolu, 50 % d'essence poids lourds.

Le succès fut limité. Le danger de la décantation avait fait choisir à dessein une proportion d'alcool très élevée. Un réglage du carburateur s'imposait. En outre, la proportion d'alcool était trop considérable pour être avantageuse dans les moteurs usuels.

C'est alors que certains pays étrangers reprirent le problème à la base et constituèrent des organismes techniques chargés de mettre au point la bonne formule. Très rapidement, les expériences démontrèrent la supériorité d'un mélange contenant 70 à 80 % d'essence tourisme et 20 à 30% d'alcool. L'Allemagne avant 1928, par conséquent avant toute application légale, consommait déjà chaque année près d'un million d'hectolitres de « Monoplin » (carburant à 20% d'alcool absolu). En Suède, l'état des choses est plus caractéristique encore : le seul carburant employé est un mélange 75% d'essence, 25% d'alcool absolu, le « Lattbentyl » qui a complètement supplanté l'Esso, supercarburant à base d'alcool et de benzol que dans tous les pays du globe l'usager consent à payer plus cher.

En Australie, le « Shellkol », mélange à 15% d'alcool, connaît le même succès. Et un peu partout déjà, la législation officielle reflète l'intérêt des résultats enregistrés : je cite au hasard ...Pologne, Hongrie, Lettonie, Tchécoslovaquie, Italie, Brésil, Chili, Argentine..., etc.

En présence d'un mouvement si précis, la France pouvait difficilement rester indifférente.

L'intérêt primordial que présente pour elle au double point de vue national et économique l'utilisation d'un carburant tiré de son sol est trop direct pour qu elle ne suive pas l'état de la question. Et pourtant, bien des gens ignorent les avantages considérables du mélange alcool-essence.

Il importe de mettre en lumière ces avantages et de réfuter les objections que les adversaires du nouveau carburant ne manquent de faire à tout propos.

Anti-cliquetis


L'alcool est d'abord un excellent anti-détonant; et parmi ses qualités, celle-ci mérite la première place en raison de son importance technique.

Pour bien la comprendre, il est indispensable de rappeler en quelques mots en quoi consiste le phénomène du choc en retour, plus souvent appelé « détonation » et bien connu des automobilistes. Etant donné un mélange gazeux d'air et de carburant, il existe une pression critique au delà de laquelle la combustion amorcée par l'étincelle électrique se propage à une vitesse considérable pouvant atteindre 2 à 3000 mètres par seconde, au lieu de pénétrer au sein du mélange par tranches successives avec une vitesse relativement réduite de quelques dizaines de mètres à la seconde. Un bruit caractéristique accompagne cette combustion rapide : le moteur «cogne».

Or, les liquides présentent une aptitude très différente au choc. L'essence, particulièrement sensible, détone pour un taux de compression de 5 environ : ce qui explique qu'avec ce carburant le moteur cogne facilement, dès qu'on lui demande de fournir un gros travail à une allure ralentie.

Le remède destiné à réduire cet inconvénient est l'incorporation à l'essence d'un anti-détonant. Le plomb tétraéthyle est fréquemment employé : il présente pourtant de graves dangers en raison de ses propriétés toxiques; et les conclusions du ministre de l'hygiène à son égard sont assez catégoriques.

D'autre part, on a reproché au plomb tétraéthyle de provoquer la détérioration des fils d'allumages. Le benzol également proposé n'est pas non plus parfait : il encrasse les organes intérieurs du moteur beaucoup plus que l'essence elle-même.

L'alcool est au contraire en excellent anti-détonant. Il suffit pour s'en apercevoir de dresser le petit tableau suivant en attribuant la valeur 100 au toluène chimiquement pur comme anti-détonant et en déterminant comparativement à cette valeur la résistance à la compression des différents carburants.

CARBURANTS / INDICES
  • Toluène / 100
  • Alcool / 130
  • Benzol / 67
  • Rexane / 8
  •  Reptane / 37

La supériorité de l'alcool sur le benzol apparaît donc clairement ici. Les services techniques de l'Office National des Combustibles liquides ont concrétisé sous une autre forme le même résultat : 13% d'alcool permettent d'obtenir la même anti-détonance que 30% de benzol.

Si nous nous sommes étendus sur la résistance de l'alcool à la compression, c'est que l'augmentation du taux de compression d'un moteur a pour conséquence immédiate une meilleure utilisation des calories contenues dans le mélange gazeux.

C'est dire que la puissance augmente et que la consommation diminue.

L'importance du taux de compression pour un même carburant et pour les différentes vitesses d'un même moteur est particulièrement mise en relief par les diagrammes suivants qui expriment la puissance développée en chevaux-heures, et d'autre part la consommation en grammes par cheval-heure.




A une vitesse de 1600 tours par exemple, en passant de la compression 4 à la compression 5, on réalise un gain de puissance de (32,5 - 27) / 27 = 20,4%




A la même vitesse de 1600 tours le passage de la compression 4 à la compression 5 entraîne une économie de carburant de (295 - 240) / 240 = 18.6%

Grâce à l'addition d'alcool à l'essence, il est donc possible de construire des moteurs plus comprimés, à 6 et même à 7 au lieu de 4,5 et 5. Il est certain toutefois que ce résultat est plus intéressant pour les moteurs à taux de compression élevé que pour les moteurs actuels à compression faible.

Les tableaux que nous avons dressés n'en font pas moins ressortir l'erreur de ceux qui prétendent que l emploi des carburants à alcool dans les moteurs actuels se traduit par une augmentation de la consommation sans aucun gain de puissance.

Propreté du moteur


L'alcool possède d'autre part des propriétés anti-calaminantes bien connues : les garagistes qui l'emploient pour nettoyer les moteurs encrassés n'ignorent pas cette qualité.

Un moteur alimenté par un mélange d'alcool et d'essence doit donc logiquement moins s'encrasser qu'avec l'essence seule; grâce à l’oxygène contenu dans la molécule d'alcool, la combustion est en effet plus complète.
Or l'argument le plus fréquemment entendu pour « démolir » le carburant national est la prétendue corrosion des organes internes du moteur par les produits de combustion de l'alcool.
Quelle thèse l'expérience a-t-elle justifié ? Depuis l'essai polonais, effectué sur une voiture Chrysler et sévèrement contrôlé par l'Automobile-Club de Pologne (juillet-août 1930) il n'est pas permis d'en douter. Après 20000 kilomètres, l'examen des principaux organes du moteur a prouvé.


  • ...que le dépôt de carbone sur les parois de la « chambre de compression, ainsi que sur la tête des pistons était moins important que celui qui se forme ordinairement lorsqu'on marche à l'essence;
  • ...que les bougies n'étaient pas encrassées, les soupapes propres et n'ayant subi qu'une usure insignifiante;
  • ...que le carburant avait laissé intact les parois latérales du cylindre.


Eau / Alcool moteur


Il est également intéressant de signaler la tolérance du carburant essence-alcool vis-à-vis de l'eau. Lorsque par suite d'une fausse manœuvre le réservoir d'une voiture reçoit de l'eau, il peut arriver que le mélange devienne trouble, puis se sépare en deux couches.
L'ingénieur Erkstrom a effectué une série d'essais consistant à mélanger au carburant des quantités d'eau de plus en plus grandes. Les résultats obtenus se résument dans le tableau suivant :




Ce tableau montre qu'on peut impunément dans un réservoir contenant 20 litres du mélange essence-alcool 75/25 verser 1 %, soit 200 cm3 d'eau sans avoir autre chose à déplorer qu'une légère diminution de la puissance.

Dans l'hypothèse d'un mélange 50/50 la tolérance du carburant est bien plus nette encore. Il faut une addition d'eau de 2,8 % pour provoquer la décantation;
et il est évidemment invraisemblable d'imaginer un automobiliste en possession de ses facultés versant 3 litres d'eau dans une machine pour un remplissage de 100 litres.
L'expérience enseigne que la quantité d'eau retenue par les parois internes d'un bidon sommairement égoutté après rinçage ne dépasse pas 2 cm3 (soit 0,05%, puisqu'il s'agit d'un bidon de 5 litres). L'essence ne renfermerait-elle que 2,5 % d alcool que la décantation ne pourrait pas se produire.

On ne se pose pas la question pour l'essence


Il est par ailleurs étrange que l'on se puisse préoccuper des conséquences possibles de l'addition d'eau dans les carburants à alcool, et qu'on néglige les inconvénients provoqués par la même addition dans le cas de l'essence pure.
L'eau restant en l’occurrence séparée de l'essence, le moteur ne peut plus fonctionner et les tuyauteries par temps froids risquent de se congeler.

Le moindre mélange d'alcool améliore donc ia tolérance d'un carburant vis-à-vis des additions accidentelles d'eau.

Autres avantages


Pour terminer la revue des qualités techniques de l'alcool, il suffit maintenant d'énumérer les avantages secondaires qu'il présente.

Volatilité


L'alcool améliore la volatilité du carburant. Le phénomène s'explique par le fait que l'alcool forme avec certains des constituants de l'essence des mélanges azéotropiques à point d'ébullition minimum ; la mise en route des moteurs est singulièrement facilitée par la chaleur latente de vaporisation

L'alcool, grâce à sa grande chaleur latente de vaporisation permet un meilleur remplissage du cylindre que l'essence.

Givrage


Pour la même raison, le givrage qui se manifeste à l'extérieur du carburateur par temps humide se produit dans de bonnes conditions; le givrage intérieur est inexistant, étant donné l'affinité de 1 alcool pour l'eau.

Souplesse / Couple


Enfin, tous les auteurs sont unanimes à signaler que les voitures mues au carburant essence alcool fonctionnent d'une façon plus souple qu'avec 1'essence seule : les reprises sont plus nerveuses, l'accélération plus forte, le moteur ne cogne plus au ralenti (tous les utilisateur d'E85 signalement un ralenti plus stable et plus silencieux)

Critiques de l'alcool-moteur


En face d'une telle série d'avantages quels inconvénients reproche-t-on à l'alcool carburant ?

Décantation


Au premier rang des critiques formulées se place en général le risque de la décantation du mélange par absorption de l'humidité atmosphérique.

Dans une expérience très sérieuse, MM. Coutant et Mariller ont déterminé l'hydratation des carburants à 15% d alcool absolu dans des conditions très sévères. Leurs constatations sont formelles : il a fallu 43 jours au carburant pour se séparer en deux couches à -8 degrés. En dehors même du laboratoire le phénomène est constamment contrôlé : aucune décantation du « Lattbentyl » en Suède malgré des conditions climatériques particulièrement dures; pas le moindre accident non plus dans le Queensland en Australie où règne une humidité intense.

Changement de carburateur


Autre erreur à rectifier : la prétendue nécessité d'un carburateur spécial pour l'emploi du nouveau liquide.

Cette objection vaut sans doute pour les mélanges à haute teneur d 'alcool. Mais elle est inexistante pour les mélanges à teneur moyenne. Le moteur dans cette seconde hypothèse fonctionne admirablement sans qu'il y ait rien à changer; et ceci s'explique par l'influence favorable qu'exerce l'alcool sur la combustion.

Le professeur Hubendick dans le livre où il relate les observations qu'il a pu faire sur le «Lattbentyl», s'exprime en ces termes :

« Si l'on emploie un carburant contenant moins de 25% d'alcool il n'y a pas lieu d'effectuer sur les  moteurs la moindre transformation. On ne constate également aucune difficulté à la mise en route ni pendant la marche. Le chauffeur, s'il n'est pas prévenu, exprimera tout au plus son étonnement de la bonne accélération de sa voiture. »

Et il ajoute plus loin :

« A ce sujet, il n'est pas inutile de faire observer qu'un moteur peut sans modifications être alimenté alternativement avec de l'essence et avec le mélange essence-alcool, toujours lorsque la teneur de ce mélange ne dépasse pas 25% d'alcool. »


Corrosion


La corrosion des organes internes du moteur est fréquemment soulignée elle aussi. L'alcool décapant s'attaquerait notamment au réservoir. Et les particules de métal ainsi libérées ne tarderaient pas à obstruer les conduits par lesquels le carburant coule; au cours des étés 1932 et 1933 où circulèrent des mélanges dont la variété était d'ailleurs regrettable, les récriminations entendues ne changeaient guère de forme : toutes reprochaient à l'alcool la mauvaise arrivée du liquide au carburateur.
En réalité, le phénomène qui s'est produit n'a rien d'aussi compliqué ni d'aussi grave : l'arrivée du liquide était arrêtée par les impuretés du réservoir détachées du métal par l'alcool. Il eut suffi aux automobilistes pour éviter cet inconvénient de prendre une élémentaire précaution : le nettoyage du réservoir.

Conclusion


Donc, ni corrosion interne, ni formation d'aide acétique, ni diminution de puissance de la machine, ni augmentation de la consommation d'huile de graissage, mais une anti-détonance qui supprime le cognage du moteur et multiplie sa puissance, une grande tolérance vis-à-vis de l'eau, une exceptionnelle volatilité, une résistance parfaite au givrage.

...ce qu'il fallait démontrer sur le plan technique.


Carburants disponibles à l'époque


L’essence de tourisme était généralement unitaire, parfois binaire, renfermant donc un autre combustible: du benzol parfois, mais plus souvent de l’alcool dans la proportion légale de 11 à 13 %
C’était l’essence « ordinaire » convenant à la majorité des voitures de l’époque. Son prix en 1934: 2 Francs par litre.

L’essence poids lourds était toujours binaire, elle était composée obligatoirement avec une forte proportion d’alcool de 25 à 30 %.
Elle convenait parfaitement pour les voitures ayant un moteur « un peu plus poussé » ainsi que pour les camions fonctionnant avec un moteur à essence. Son prix en 1934: 1,57 Francs par litre.
 Le terme d’essence poids lourds n’a pas son origine dans l’utilisation par les moteurs de camions, mais provient de son poids spécifique plus important dû à sa teneur en alcool.

L’essence Supercarburant, créée en 1933, était binaire ou ternaire et supprimait le cognage des moteurs à grande compression et permettait de hauts rendements pour les moteurs puissants.
Le prix était plus élevé que celui des autres carburants: 2,20 Francs par litre.


Université de Paris. Faculté de droit 1935.

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